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Troubles psychiques et détention : la France peut mieux faire
24 novembre 2021
Brèves
Plus de 40 % des personnes détenues en Italie présentent au moins un trouble psychique. Elles sont environ 30 % en Espagne, 35 % en Angleterre et 60 % au Pays-Bas. La prison rend-elle fou? Pour certains, assurément. Pour d’autres, elle n’est que le révélateur de pathologies préexistantes. La prison signe fréquemment la rupture des liens sociaux et familiaux. L'isolement, la promiscuité et le bruit plongent les personnes détenues dans une atmosphère violente. Les consommations de substances sont courantes. Des conditions propices pour que se déclenchent, se développent ou se renforcent des pathologies psychiatriques existantes.
Prison Insider et l'Unafam proposent une étude comparative de la prise en charge des auteurs d’infractions qui souffrent de troubles psychiques dans huit pays européens.
L'étude complète sur le site de Prison Insider
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La France peut-elle s’inspirer de ses voisins ?
La comparaison entre huit pays européens proches culturellement confirme les convictions de notre association de familles et de leurs proches concernés par les maladies psychiques : l’emprisonnement n’est jamais une solution satisfaisante et souvent la pire pour les personnes malades. Les soins, quel que soit le dispositif mis en place, sont toujours quantitativement et qualitativement insuffisants, discontinus dans leur administration et rarement construits dans une perspective de réinsertion. L’incarcération, avec ses conditions de grande promiscuité, de bruit, ses phénomènes de pression sur ceux qui reçoivent des médicaments et de forte circulation des drogues est un facteur aggravant des troubles. Elle en est parfois le déclencheur.
Les personnes ayant des troubles psychiques sont surreprésentées dans toutes les prisons d’Europe, allant du quart au tiers de la population carcérale. Alors que la prévalence des maladies psychiques sévères dans la population européenne ne dépasse pas 10 %. Cette surreprésentation reconnue et choquante appelle des réponses en amont du champ pénitentiaire.
L’absence de repérage et de prise en charge précoce amène à un retard de diagnostic pendant lequel les personnes sont abandonnées à leur souffrance. Cette période de déshérence est souvent accompagnée de conduites à risque et de conduites addictives pouvant entrainer des “passages à l’acte”.
Ensuite, les institutions pénales sont engorgées. Incapables de trouver le temps de poser un diagnostic sur les personnes mises en cause, les personnes atteintes de troubles psychiques sont orientées de manière croissante vers la prison au lieu des hôpitaux. S’y ajoute, dans le cas français, la brutalité du changement de cap en matière de politique psychiatrique, avec la fermeture de la moitié des lits d’hospitalisation psychiatrique en trois décennies. Le directeur de l'administration pénitentiaire française assurait ainsi récemment que « la fermeture de lits psychiatriques a rempli les prisons.
Enfin, le regard de la société sur le « fou » évolue dans un sens qui exclut de plus en plus la compassion. Le docteur Cyrille Canetti, à l'occasion de son départ après 25 ans d'exercice de la psychiatrie en prison : « il y a une vision du malade mental qui a beaucoup changé ces dernières années. L'éclairage se fait davantage sur le risque que représenterait le malade pour la société, à en oublier que c'est une personne qui souffre avant tout ».
La prison ne soigne pas ou mal ; les malades psychiques ne devraient pas, pour la plupart, y séjourner. Pourtant la dure réalité est qu’ils y sont nombreux. Cette dure réalité, sans cesse confirmée – comme l’indique le redémarrage en flèche des condamnations après la brève inflexion due au Covid 19 -, conduit à se demander comment, sans légitimer le système, l’améliorer en France. Et comment faire en sorte d’atténuer les souffrances de ceux qui le subissent indûment, soit près de 20 000 êtres humains.
La lecture du présent dossier laisse l’impression globale que nos voisins n’ont pas organisé, pour la plupart, de meilleures réponses que le système pénitentiaire français. Un regard attentif permet toutefois d’identifier quelques pistes, dont trois ont retenu notre attention (critique), brièvement présentés ci-après.
Un examen clinique somatique et psychiatrique avant jugement
Afin de dépister avant jugement les auteurs d’infractions nécessitant des soins, certains pays organisent l’accès aux soins dès la phase d’instruction.
En France, l’instauration de la procédure de « comparution immédiate » devait permettre de désengorger les tribunaux correctionnels. Elle conduit devant un juge près de la moitié des personnes mises en causes dans les 36 heures suivant leur interpellation. Des enquêteurs sont chargés d’établir en quelques minutes le profil social des personnes mises en cause. Cette activité est confiée à des contractuels d’associations sans formation psychiatrique. L’identification de troubles psychiques est rare. Le recours aux expertises est exceptionnel, n’étant obligatoire qu’en cas de crime.
- En Allemagne, le juge peut ordonner un « internement provisoire » en hôpital psycho-légal.
- En Angleterre et au Pays de Galles, il peut décider d’une obligation de soins provisoire dite « remand to hospital for report» pendant la période d’instruction.
- En Italie, le juge peut placer la personne provisoirement en centre psychiatrique dédié (REMS) durant la période d’instruction, sous une mesure dite de « sûreté provisoire ».
- En Espagne, l’auteur de l’infraction peut être placé en hôpital psychiatrique pénitentiaire pour faire l’objet d’une expertise psychiatrique.
En France, la possibilité existe aussi, certes, pour le juge de demander une expertise psychiatrique pour un prévenu. En pratique, celui-ci l’attendra le plus souvent, parfois longtemps, dans une maison d’arrêt, la forme d’incarcération où l’offre de soins est la plus rare et faible.
La formation du personnel pénitentiaire
Les surveillants pénitentiaires sont parfois formés pour mieux appréhender les comportements des personnes vivant avec des maladies et des handicaps psychiques et ainsi mieux “faire face”.
La prison compte, dans la plupart des pays, une grande proportion de personnes ayant des pathologies psychiques. Certaines administrations pénitentiaires ont perçu la nécessité de donner à leurs personnels des formations pour leur permettre de faire face à des rôles qui s’imposent à eux, en particulier dans les périodes où le personnel soignant est absent.
- La Suisse offre à cet égard l’exemple le plus inspirant : tous les surveillants pénitentiaires suivent une formation de base sur la psychiatrie d’une durée d’environ cinq jours. Elle porte sur les différents troubles psychiques et la prévention du suicide. Les surveillants peuvent également participer volontairement à des formations concernant la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiques d'une durée de 15 jours complétées par un stage de trois semaines dans une clinique psychiatrique.
D’autres pays prévoient des formations moins consistantes :
- En Belgique, les surveillants pénitentiaires doivent suivre une formation de six jours à la prise en charge des troubles psychiques. Ceux affectés aux annexes psychiatriques doivent en outre suivre une formation spécifique.
- En Allemagne, les surveillants pénitentiaires suivent des cours de psychologie et de criminologie pendant leur formation, complétés par des stages, puis par des formations en psychologie pendant l’exercice de leur profession. La moitié des 3 000 personnels pénitentiaires avaient, en 2012, suivi une formation relative aux soins psychiques et leur prise en charge. À Berlin, les surveillants dits “chefs de groupe” sont formés à la gestion des prisonniers présentant des troubles psychiques ou un risque suicidaire.
- En Angleterre et au Pays de Galles, depuis 2016, les nouveaux surveillants pénitentiaires ont l’obligation de suivre une formation à la santé psychique.
- Aux Pays-Bas, seuls les surveillants affectés dans les quartiers des établissements pénitentiaires dédiés aux personnes détenues souffrant de troubles psychiques (EZV) bénéficient d'une formation spécifique.
Le Dr Guillaume Monod, psychiatre de la prison de Villepinte, constatait, en avril 2017 : « […] les surveillants sont régulièrement amenés à remplir le rôle d’infirmiers psychiatriques, assurant au quotidien la prévention du suicide, l’accompagnement des détenus pour leur thérapie, la contention et lʼisolement dʼun patient présentant un trouble psychiatrique aigu ». En France, seule une formation à la prévention du suicide est donnée aux stagiaires surveillants pendant leur formation. Depuis 2019, un petit nombre de surveillants et de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probations volontaires ont pu bénéficier de formations et sensibilisations dispensées par l’Unafam.
La continuité des soins
La continuité des soins est parfois (mieux) assurée à la sortie de prison
En France la continuité des soins est une question laissée sans réponses du fait de l’engorgement de la psychiatrie de secteurs (CMP), de leur peu d’appétence pour prendre en charge une population doublement stigmatisée et de l’absence de coordination entre psychiatrie carcérale et psychiatrie civile.
Dans la plupart des autres pays étudiés, la préoccupation de la continuité des soins existe. Elle s’est traduite par la mise en place de dispositifs institutionnels de coordination… parfois/souvent critiquables du fait de la persistance, en arrière-plan, de préoccupations dites de « défense sociale » :
- En Angleterre et au Pays de Galles, les ”clinical commissioning groups” (CCG), en charge des services de santé locaux, sont responsables des soins des sortants de prison. Ceux-ci ont, au Pays de Galles, droit à un réexamen psychiatrique, le ”mental health mesure”. Ils ont, par la suite, accès de droit à des soins de santé psychique.
- En Espagne, les personnes détenues qui suivent le programme de soins dénommé PAIEM peuvent bénéficier du programme « Puente » assurant un « pont » vers les soins à leur sortie de prison. Il est géré́ par les centres de réinsertion sociale. Une équipe de professionnels pluridisciplinaire coordonne la continuité́ des soins.
- Aux Pays-Bas, le « penitentiair programma » est destiné́ aux personnes qui achèvent une peine d’au moins six mois d’emprisonnement. Il impose la participation à plusieurs activités, voire une obligation de soins.
- En Italie, les personnes détenues présentant un grave trouble psychique doivent être signalées aux organismes de protection de la santé publique afin d’assurer un suivi à leur sortie de prison.
- En Belgique, le service TANDEM (Orientation et enregistrement après la détention et plus encore) de la région flamande assure un plan de réinsertion aux personnes détenues souffrant de troubles psychiques. Des projets de « trajets de soins pour patients internés » (TSI) ont été́ développés à Bruxelles et en Wallonie pour assurer la continuité́ des soins.
Un espoir apparaît avec l’instauration de tels continuums en France. Deux expérimentations d’Equipes Mobiles Transitionnelles sont en cours à Lille et Toulouse. Elles assurent le suivi de personnes sortant de prison ayant besoin d’un suivi psychiatrique et social, organisent le lien entre l’unité psychiatrique carcérale et le Centre médico-psychologique. L’UNAFAM est impliquée dans ces initiatives et souhaite leur multiplication.
Pour conclure
Un système institutionnel est toujours le fruit d’une longue histoire dans laquelle les facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels occupent une place essentielle. Aucun des systèmes de nos voisins européens n’est transposable tel quel. Les pistes qui viennent d’être suggérées ne sont que des pistes d’amélioration d’un système français parti depuis plusieurs décennies dans la direction d’une psychiatrie sécuritaire : celle de la judiciarisation et de la pénalisation systématique d’actes dérogeant aux normes sociales.
Michel Foucault analysait, en 1971, l'évolution des institutions pénales en soulignant que la montée en puissance des États a mis fin à la confusion entre crime et guerre. N'assiste-t-on pas à un retour de cette confusion ? Un glissement s’opère, de "surveiller et punir" à "surveiller et anticiper".
La question centrale, en France, est aujourd’hui finalement celle de la stigmatisation dont sont victimes les personnes vivant avec des troubles psychiques à qui on applique une justice prédictive.